En l'an 1840, environ 540 chefs Māoris ont signé un traité qui fit de tous les Māoris des sujets de la Reine (Victoria), protégés par la loi au même ordre que les sujets britanniques, en échange de leur souveraineté. Jusque-là, tout va bien.

La petite histoire veut que ce traité soit unique, mais ce n'est qu'un mythe. A l'époque coloniale, les envahisseurs mettaient un point d'honneur à signer des traités avec envahis afin d'officialiser leur présence. Dans certains cas, ils le signaient avec des factions rivales du pouvoir en place, avec un accord tacite qu'ils débarrasseraient le pays du-dit souverain. Mais ce n'est qu'un détail.


Merci Alexander Turnbull Library (via Te Ara)

Reference: A-114-038
Watercolour by unidentified artist

En Nouvelle Zélande, ça ne s'est pas passé trop mal, et entre Février et Septembre 1840, le traité a parcouru le pays, et les signatures ont abondé. A la fin de l'exercice, il a été décidé que toutes les tribus devenaient sujets de la Reine, même celles qui n'avaient pas signé.

Y a même des gens qui en ont fait un film en 1977 qui est dispo en ligne sur NZ On Screen.
>> Voir le film <<

Signé, ok, mais signé quoi ?

C'est là que ça devient épineux, et intéressant. Le texte a une intro, et 3 articles.

Intro : Nous les Anglais arrivons en masse, du coup on aimerait bien signer un traité qui nous autorise à former un gouvernement et à nous déclarer souverains. Nous faisons ça pour votre bien, et pour mieux vous protéger.
Article 1 : Tous les chefs cèdent à la reine la souveraineté sur leur territoires.
Article 2 : La Reine garantit que les chefs et leurs tribus garderont la possession de leurs terres, forêts, domaines de pêche, et autres possessions. Ils donneront toutefois priorité à la Reine s'ils venaient à vendre leurs terres, en tant que propriétaires.
Article 3 : Tous les natifs, vous devenez sujets de la Reine qui vous protégera.

>> Le texte dans son intégralité <<

C'est le texte, mais en fait ce n'est qu'un seul des textes. La version anglaise a été traduite en une nuit le entre le 4 et le 5 février 1840. Les Anglais ont signé la version anglaise, et les Maoris ont signé la version maorie... Sauf que certains concepts n'existaient pas dans la société maorie de l'époque, ce qui a rendu la traduction... légèrement différente.


Le traité (un des rares exemplaires presque encore entier)

Merci Wikipédia

Note : 39 chefs ont signé la version Anglaise, à défaut de version en Maori.

Ce que les Maoris ont signé

Le premier concept problématique est la notion de propriété, en particulier propriété du sol. Pour les Maoris, la terre est là, et n'appartient à personne. D'une certaine manière, les hommes appartiennent à la terre, plutôt que le contraire. Les humains obtiennent le "droit" de gestion d'un endroit par un ensemble de règles tacites : le fait qu'ils s'en servent, qu'une tribu précédemment présente leur ait donné leur accord, qu'un ancêtre soit passé par là, etc.

De plus, les variations entre autorité, gouvernement, souveraineté et pouvoir étaient aussi proches du flou artistique. La notion d'autorité pour les Maoris était liée au mana de la personne exerçant l'autorité. Le mana n'est pas hérité. Un enfant est choisi par les "tohungas" (sages, experts, scientifiques, maîtres de cérémonie, etc.) pour son potentiel et son caractère, et formé. En grandissant, l'enfant gagnera le respect, la confiance, l'admiration des autres. En conséquence, le chef mène sa tribu et exerce son "autorité" sur le domaine occupé par sa tribu parce qu'il le mérite. Il en va de même pour les relations qu'il entretient avec les tribus voisines.


Hon. Wi Tako Ngatata M.L.C., Chief of the Ngatiawa tribe in Taranaki N.Z. (Merci Te Papa)


La version signée par les Māoris ressemble donc plutôt à ça :

Intro : Nous les Anglais arrivons dans votre pays, et voudrions établir un gouvernement. Nous faisons ça pour votre bien, et pour mieux vous protéger.
Article 1 : Tous les chefs donnent le droit de gouvernement à la Reine.
Article 2 : La Reine garantit aux chefs et à leurs tribus leur autorité, leur maison (au sens large), et tout ce qui leur est cher. En échange, s'ils choisissent de vendre leurs terres, ils offrent leur terres à la Reine, à condition que la contrepartie payée soit juste.
Article 3 : Pour que le gouvernement de la Reine soit correctement appliqué, la Reine protègera les Māoris de la même manière qu'elle protège les Anglais.

Donc si on résume, les Māoris ont signé qu'ils gardaient l'administration de leurs terre, alors que les Anglais pensent avoir autorité sur l'ensemble du territoire. De plus, pour les Māoris, il leur a été garanti tout ce qui leur "est cher". Du côté Anglais, il n'y a que les biens matériels et terres qui ont été garantis. Tout ceci sans compter que la culture Māorie est une culture orale. La plupart des signataires ne savaient pas lire, et signaient donc sur la base d'une interprétation d'une traduction floue. La personne qui interprétait n'était pas la même pour tout le monde et souvent choisissait d'insister sur l'aspect protecteur.


Tous les endroits où le traité a été signé, entre Février et Septembre 1840

Merci Waitangi Tribunal

Comme diraient les anglophones, "clear as mud".

La cerise sur le gâteau

En 1830, il n'y avait qu'environ 300 blancs, principalement là pour faire du commerce (baleines, bois et lin/flax). En 1840, ils en étaient à 2000, y compris quelques soldats, pour environ 125 000 Māoris. Mais en 1858, la population Māorie est réduite à 56 000 (principalement pour cause de maladie) alors que les colons sont maintenant 59 000.

Les signataires du traité étaient loin de s'imaginer qu'ils se retrouveraient en minorité dans leur propre pays.


L'arrivée du Tory à Wellington en 1839, plein de colons

Merci Anthony G Flude

La suite au prochain épisode...